• Blogues

13 novembre 2018

Par Liza Yelle

Conseillère juridique volontaire

 

Le mercredi 7 novembre, le tribunal avait annoncé que la prochaine audience aurait lieu le mardi 13 novembre à 9h du matin. Toutefois, lorsque nous nous sommes présentés mardi matin, nous avons appris qu’une audience avait eu lieu la journée d’avant. Les observateurs internationaux et des membres du corps diplomatique étaient très déçus et certains frustrés de ne pas avoir été informés de ce changement.

 

Il est certain que le tribunal n’a que l’obligation d’aviser les parties au procès des changements d’horaire, mais étant donné l’attention portée à ce dossier, il aurait été utile d’aviser le public. L’absence d’annonce à l’effet que l’audience reprenait une journée plus tôt porte atteinte à l’apparence de transparence du système de justice qui, pour de multiples raisons abordées dans les articles précédents, est déjà remise en question. De plus, le ministère public, qui est le représentant des victimes dans le procès depuis que l’accusation privée a été exclue du processus, n’a toujours pas pris contact avec celles-ci et ne les a donc pas avisées de la reprise.

 

Après vérification auprès des parties, nous avons appris qu’au cours de l’audience de lundi elles ont procédé à la ratification de rapports d’extractions de téléphones des accusés Sergio Rodriguez Orellana et Douglas Bustillo. Les extractions des données téléphoniques de ces accusés revêtent une importance capitale dans le procès, d’une part en raison des rôles allégués de coordination et planification de ces deux accusés, d’autre part parce que ce sont des éléments importants de la preuve du ministère public.

 

Témoignages de membres du COPINH

 

L’audience du 13 novembre a commencé par les témoignages de deux membres de l’organisation COPINH. Ce furent des témoignages particulièrement touchants étant donné la relation qu’ils entretenaient avec la victime. Un des témoins travaille avec le COPINH depuis plus de 25 ans et a affirmé que Berta Cáceres était comme une mère pour les membres de l’organisation qui ne veulent qu’obtenir justice pour elle. L’autre témoin a quant à elle expliqué qu’elle n’avait pas peur de témoigner, car elle sent que Berta n’est pas décédée, qu’elle se trouve parmi nous et qu’elle lui donne la force et l’énergie pour continuer.

 

Durant leur témoignage, ils ont parlé des menaces auxquelles ont fait face Berta et l’organisation COPINH depuis le début de la construction du projet hydroélectrique Agua Zarca. Berta aurait régulièrement reçu des menaces par appels et messages téléphoniques, entre autres de la part de l’accusé Sergio Rodriguez Orellano. Ces menaces auraient été dénoncées au ministère public.

 

Selon eux, Berta était extrêmement surveillée. Par exemple, elle aurait reçu des appels dans lesquels on lui mentionnait ce qu’elle portait ou quel véhicule elle conduisait. On lui aurait aussi offert des pots-de-vin afin qu’elle abandonne son travail et ce serait son refus de cesser de lutter qui aurait mené à son assassinat. Selon ces témoins, l’entreprise DESA est coupable de la mort de Berta.

 

Les deux témoins ont aussi parlé de l’impact environnemental du projet et du non-respect des droits des peuples autochtones. En effet, ils ont mentionné que le projet aurait été approuvé sans une consultation adéquate des communautés affectées.

 

Les deux témoins ont aussi parlé de la manifestation de février 2016 organisée par le COPINH contre le projet Agua Zarca, soit la dernière avant la mort de Berta. Au cours de cette manifestation, Sergio Rodriguez Orellana aurait proféré des menaces à son endroit. De plus, lorsque les manifestants sont arrivés dans la zone du projet hydroélectrique, Sergio Rodriguez Orellana les aurait avisés qu’il y avait des personnes armées proches du site de construction et que s’ils continuaient d’approcher et qu’il se passait quelque chose, il n’en serait pas responsable. Lorsque les manifestants se sont avancés, ils ont pu observer plusieurs personnes avec des bâtons, des machettes et des pierres qui bloquaient le chemin. Sergio Rodriguez Orellana aurait aussi demandé à un des témoins de dire à Berta qu’elle cesse de venir créer des problèmes.

 

Après l’assassinat de Berta, des membres du COPINH auraient continué à recevoir des menaces et à être suivis.

 

Ratification de preuves documentaires

 

Par la suite, plusieurs agents du ministère public sont venus ratifier des preuves documentaires, notamment des rapports d’enquête et des rapports de perquisition. De plus, plusieurs preuves documentaires qui ne nécessitaient pas une ratification ont été présentées afin d’être incluses au dossier.

 

L’acte de reconstruction des faits a quant à lui été lu à haute voix à la demande du tribunal avant d’être inclus au dossier. Cette partie de l’audience a été particulièrement émotive, puisque l’écrit résume les derniers moments de la victime de tentative d’assassinat avec Berta et les faits du crime. Cette reconstruction des faits a été réalisée par les enquêteurs et la victime survivante 48h après l’attaque. Il y est d’abord raconté que Berta et lui avaient discuté tranquillement assis à l’extérieur de la maison avant d’aller se coucher. Peu après, des inconnus sont entrés dans la résidence. Il aurait entendu Berta demander qui entrait etdes coups de feu.  Puis, on est venu lui tirer dessus.

 

Il aurait ensuite accouru à la chambre de Berta, où elle gisait sur le sol et celle-ci lui aurait demandé d’appeler Salvador, le père de ses quatre enfants. Le témoin l’aurait supplié sans arrêt de ne pas les quitter alors qu’elle mourait dans ses bras. Il a affirmé qu’il avait extrêmement peur qu’on revienne pour lui et qu’il lui a fallu plus d’une heure avant de contacter quelqu’un qui pouvait lui venir en aide.

 

À la fin de l’audience, le tribunal a révisé la liste des preuves qui restent à être présentées dans ce procès. La majorité de la preuve du ministère public aurait déjà été présentée à l’exception de l’imposante expertise d’analyse téléphonique qui devrait débuter ce mercredi 14 novembre.

 

Sur l’auteure 

 

Liza Yelle est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Liza participe actuellement à l’observation du procès de Berta Cáceres en coalition avec différentes organisations nationales et internationales de droits humains. Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada, accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.