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9 novembre 2018

Par Liza Yelle

Conseillère juridique volontaire

 

Après plusieurs journées où l’assistance aux audiences était réduite, le vendredi 2 novembre, la salle 1 du Tribunal de sentencias con competencia territorial nacional était une fois de plus remplie. Les nombreux observateurs espéraient en savoir davantage sur l’expiration du délai de détention préventive pour cinq des huit accusés, la date initiale prévue étant le 2 novembre. L’audience a néanmoins débuté comme à l’habitude, sans qu’il n’y ait mention de la détention préventive.

 

Le procès s’est poursuivi avec la présentation des moyens de preuve du ministère public. Une enquêteuse du ministère public est d’abord venue ratifier un acte de réception d’information afin de confirmer qu’elle a reçu personnellement des informations d’une source protégée qui ont permis d’identifier l’accusé Oscar Torres Velasquez, de même que sa résidence.

 

Par la suite, l’enquêteur Jésus Perdomo Chavez, un des enquêteurs principaux qui s’est présenté à une audience antérieure, était de retour afin de ratifier d’autres documents d’enquête. Un élément particulièrement intéressant qui est ressorti de ces ratifications est la déclaration spontanée extrajudiciaire que l’enquêteur a reçu de l’accusé Henry Javier Hernandez, peu après son arrivée au Honduras, ce dernier ayant été arrêté au Mexique. Henry Javier Hernandez aurait affirmé en pleurant qu’il était effectivement présent sur les lieux du crime, mais qu’il y était sous le joug de menaces. Il aurait déclaré que l’auteur du meurtre de Berta Cáceres est Elvin Rapalo Orellana, un autre accusé, et que l‘accusé alias « Coca » a ouvert le feu sur Gustavo Castro. Un troisième accusé, Edilson Duarte Meza, aurait quant à lui conduit le véhicule. Il aurait aussi précisé que sur le chemin du retour, ils se sont arrêtés à un hôtel dans la ville de Santa Rita, département de Yoro, pour dormir. Henry Javier Hernandez aurait fait cette même déclaration lors de sa comparution.

 

L’enquêteur a expliqué plusieurs procédures d’enquêtes qui ont notamment permis de corroborer des informations, notamment le nom d’alias « Coca » : Oscar Torres Velasquez. Il a également expliqué qu’ils se sont rendus à l’hôtel mentionné par Henry Javier Hernandez et qu’ils ont trouvé son nom inscrit dans le registre, ainsi qu’une facture avec son numéro d’identité et la date correspondant à celle du crime.

 

L’enquêteur a aussi parlé d’informations reçues d’une source protégée. Un proche de la source protégée aurait été contacté par l’accusé Elvin Rapalo Orellana, qui leur aurait offert un travail. Ils ont après coup été convoqués à une réunion, où ils auraient appris que le travail consistait à assassiner Berta Cáceres. Elvin Rapalo Orellana, Edilson Duarte Meza et Oscar Torres Velasquez étaient tous présents à ladite réunion. Les deux personnes ont refusé le travail, après quoi le proche de la source protégée a été retrouvé mort. La source protégée a fui le pays et pour cette raison ne peut pas venir déclarer en cour.

 

Enfin, le tribunal a décidé d’admettre comme ayant valeur de témoignage les déclarations faites à l’audience préliminaire par les trois témoins du ministère public qui n’ont pas été localisés. De plus, le tribunal a accepté l’admission d’un document en preuve, et ce, sans sa ratification par l’agent du ministère public, ce dernier ayant quitté son poste. Deux des trois déclarations ayant valeur de témoignage ont été acceptées sans que le tribunal procède à leur lecture. Toutefois, la déclaration du témoin protégé Triple A a été lue à voix haute par la greffière. Il s’agit du récit d’un proche de Berta Cáceres qui a été contacté par Gustavo Castro après le crime et qui lui est venu en aide. Le témoin a aussi donné plus d’information sur les manifestations organisées par les membres du COPINH et les menaces qu’ils recevaient.

 

Décision sur la prolongation de la détention préventive

 

À l’ouverture de l’audience, le lundi 5 novembre, la défense a demandé au tribunal de se prononcer sur le délai légal expiré de la détention préventive de plusieurs accusés. Selon la loi, les accusés au Honduras peuvent être détenus pendant deux ans de manière préventive et le ministère public peut par la suite demander un délai supplémentaire maximal de six mois. Le 2 novembre 2018, cinq des accusés avaient complété deux ans et six mois de détention préventive.

 

La semaine précédente, le ministère public avait demandé au tribunal de comptabiliser les retards causés par la défense. En effet, la loi hondurienne stipule que les retards causés par des recours ou actions de la défense qui ont été rejetés ne sont pas inclus dans le délai de la détention préventive.

 

Le tribunal a donc annoncé ce lundi qu’une résolution avait été émise par écrit à ce sujet et il a invité les représentants des accusés à en prendre connaissance. Après avoir lu la décision, les représentants des accusés ont pris la parole pour exposer leur position face à celle-ci. Les avocats des accusés qui devaient originalement être libérés le 2 novembre ont demandé à ce que la mesure préventive de détention soit révisée pour leurs clients, afin qu’ils continuent à suivre leur procès en liberté.

 

De plus, presque tous les représentants des accusés ont manifesté leur désaccords face à la décision du tribunal qui juge que plusieurs retards dans le processus judiciaire ont été causés par la défense. Il semblerait que presque tous les accusés se sont vu attribuer une prolongation de leur détention préventive, allant de 7 jours à 101 jours.1

 

Les avocats de la défense ont allégué que les délais comptabilisés ne sont pas conformes à la loi. Selon eux, des reprogrammations d’audience ont été comptabilisées alors qu’elles avaient été demandées par l’accusation privée, à la suite de problèmes de partage de preuve avec le ministère public, et que ces mêmes demandes avaient été acceptées par le tribunal. D’autres demandes de reprogrammation mentionnées dans la résolution auraient effectivement été demandées par la défense, mais accepté par le tribunal. Ce ne serait donc pas, selon la défense, des recours ou actions qui ont été rejetés comme le prévoit la loi.

 

Le ministère public estime quant à lui que la décision est conforme à la loi et que même si certaines demandes de reprogrammation ont été faites par l’accusation privée, la défense était en accord avec celles-ci. De plus, le ministère public a enjoint le tribunal à rejeter les demandes de révision de mesure préventive.

 

Après avoir écouté les parties, le tribunal a décidé de maintenir son calcul concernant les retards et les délais supplémentaires de détention préventive. De plus, il a affirmé qu’un recours de la défense n’a pas besoin d’avoir été rejeté pour pouvoir être comptabilisé comme un retard.  Enfin, la Cour a rejeté les demandes de révision de la détention comme mesure préventive, car celle-ci ne serait pas encore venue à échéance étant donné ces mêmes retards causés par la défense.

 

Les représentants des accusés ont présenté des demandes de réexamen de cette décision en insistant sur le fait que la loi stipule clairement que les retards doivent être causés par des recours ou actions rejetés. Certains avocats ont même manifesté leur inquiétude par rapport à l’interprétation du tribunal. La Cour a cependant maintenu sa décision initiale et a affirmé que le tout était très bien étayé dans sa résolution écrite. Malheureusement, il n’a pas été possible pour les observateurs d’avoir accès à la résolution écrite du tribunal, ce qui rend difficile une évaluation adéquate de cette décision.

Les avocats de la défense pourraient s’ils le désirent appeler de cette décision devant la cour d’appel.

 

Présentation d’une expertise patrimoniale

 

En début d’audience, le 6 novembre, le tribunal a annoncé avoir reçu des documents provenant des témoins du ministère public qui n’avaient pas été localisés, Sotero Chavarría Fúnez García et Lilian Esperanza Lopez Benítez, dans lesquels ils expliquent leur absence et précisent qu’ils sont disponibles pour venir témoigner. Leurs déclarations lors de l’audience préliminaire avaient toutefois été acceptées comme ayant valeur de témoignage le vendredi 2 novembre. Après avoir consulté les parties, le tribunal a décidé de convoquer les deux témoins afin qu’ils puissent venir témoigner le mardi 13 novembre.

 

Toute la journée du 6 novembre a par la suite été consacrée à la présentation d’une expertise patrimoniale. Le but était d’analyser l’origine des revenus et les changements dans la situation financière des accusés ainsi que de vérifier l’existence d’un lien financier entre eux. L’examen a couvert les années 2013 à 2016, mais pour quatre des huit accusés, l’analyse n’a produit aucun résultat, car ils ne sont pas inscrits dans les registres financiers de l’État ou n’ont pas de compte bancaire.

 

La témoin experte a identifié pour quelques-uns des accusés d’importants revenus non justifiés et pour certains des différences entre leurs salaires et leurs revenus. Par exemple, dans le cas de Sergio Rodriguez Orellana, plusieurs divergences ont été constatées entre ses attestations de salaire de l’entreprise DESA et les dépôts qu’il recevait de cette même entreprise. De plus, ses déclarations d’impôts étaient inférieures à ses revenus.

David Castillo, ancien directeur de l’entreprise DESA actuellement accusé à titre d’auteur intellectuel de l’assassinat de Berta Cáceres dans un autre processus judiciaire, a aussi effectué des dépôts dans les comptes de Sergio Rodriguez Orellana et Douglas Geovanny Bustillo. Il faut mentionner que ces deux accusés ont aussi travaillé pour DESA.

 

La défense a réussi à soulever plusieurs failles possibles dans l’expertise. Les représentants des accusés invoquent que l’experte n’a pas eu accès à tous les documents justificatifs, ce qui expliquerait pourquoi plusieurs sommes d’argent ne sont pas justifiées. La témoin experte aurait fait plusieurs demandes d’information à des entreprises et institutions financières qui sont demeurées sans réponses. Ces requêtes sont faites par l’entremise du tribunal, qui a la responsabilité de garantir qu’on réponde à ces demandes.

 

Il est important de noter qu’il a été très difficile pour le public de suivre le procès en cette journée, d’une part parce qu’il s’agissait d’un thème très complexe et d’autre part parce que les observateurs n’ont pas eu accès au rapport d’expert.

 

Sur l’auteure 

 

Liza Yelle est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Liza participe actuellement à l’observation du procès de Berta Cáceres en coalition avec différentes organisations nationales et internationales de droits humains. Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada, accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Référence 

 

1 – C’est l’accusé Sergio Rodriguez Orellano qui a vu son délai allongé de 101 jours.