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6 août 2019

Floriane Basile

Conseillère juridique volontaire

 

Cet article voit le jour dans le contexte des récentes attaques contre les personnes de la communauté LGBTTTI (lesbien, gay, bisexuel, transgenre, transsexuel, travesti, intersexuel) au Honduras, qui ont causé la mort de quatre personnes et fait plusieurs blessé.es graves en une semaine. Les derniers meurtres haineux du mois de juillet ont élevé à 25 le nombre de morts violentes contre des membres de la communauté dans le pays depuis le début de l’année, dont 7 étaient des femmes trans. En mémoire à ces vies perdues sous les coups de la haine, et pour ne pas qu’elles tombent dans l’oubli et l’impunité, comme tant d’autres auparavant, je vous partage ici une page de leur histoire et du contexte national dans lequel elles ont dû survivre.

 

Les premiers jours de juillet marqués par de multiples crimes de haine

 

Le 3 juillet, Antonia Laínez Larios, une styliste de 38 ans reconnue dans la région, a été assassinée par balle en pleine rue au petit matin, dans le département de Yoro. Aucun suspect dans le cadre de cette affaire n’a été arrêté jusqu’à présent.

 

Dans la journée du samedi 6 juillet, un autre crime haineux a été dénoncé. Cette fois, il s’agit de l’assassinat de la présentatrice télé et communicatrice sociale, Santi Hernandez Carbajal, qui a elle aussi a été tuée par balle en pleine rue, dans la ville de Puerto Cortés dans le nord du pays. Une mort violente qui a choqué le pays en raison de la renommée du programme télévisé de Santi, apprécié des Honduriens, mais également pour la violence de cet acte.

 

Le jour suivant, dans des conditions similaires, un autre crime haineux a été commis à Comayagüela contre une femme trans. Bessy Ferrera, une activiste et défenseure des droits de la communauté trans au Honduras et des personnes affectées par le VIH, a été assassinée en pleine rue par balle, dans la nuit de dimanche à lundi, alors qu’elle se dédiait au travail sexuel avec trois autres de ses camarades. Pendant l’agression de dimanche, une autre femme, qui était alors aux côtés de Bessy, a été violemment touchée par les balles et transférée à l’hôpital.

 

Dès 2006, Bessy Ferrera avait commencé son travail d’activiste, dont les activités visaient notamment la lutte pour l’accès aux antiviraux et contre la discrimination des personnes affectées par le VIH dans les centres de soin. Elle était considérée comme une référence dans le domaine autant par la communauté nationale qu’internationale. Bessy recevait l’accompagnement juridique de l’organisation Cattrachas pour différentes plaintes de violences, notamment policières en 2008, lesquelles étaient encore en attente de résolution, plus de dix ans après les faits.

 

 

Communiqué de la veillée mortuaire de Bessy Ferrera (© Cattrachas)

 

Les différentes agressions contre sa personne avaient poussé Bessy à sortir du pays le temps que les menaces diminuent. Elle était revenue en 2017 au Honduras dans l’espoir que la situation change. Mais Bessy, comme tant d’autres membres LGBTTTI au Honduras, a fait face à une situation d’intolérance généralisée, caractérisée par un contexte national d’impunité encourageant la multiplication des violations des droits humains.

 

Persécution, discrimination et violence basée sur l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre

 

Les personnes LGBTTTI sont placées en situation extrême de vulnérabilité en raison de plusieurs facteurs de discrimination qui les empêchent de jouir de leurs droits dans plusieurs sphères de la société: économique, juridique, sociale, politique et professionnelle. Pour beaucoup de femmes trans qui ont dû faire face à la discrimination dans l’emploi, l’exercice du travail sexuel reste pour elles, l’unique option pour survivre.

 

La lutte pour l’égalité comporte aujourd’hui de multiples défis au point de vue juridique pour les personnes de la communauté LGBTTTI. Ainsi, l’interdiction du mariage civil pour les couples de même sexe crée un ensemble de discriminations menant à une protection inégale de la loi, notamment en matière d’adoption, d’héritage et d’assurances, de visites en centre de détentions, etc.

 

De plus, au Honduras, l’article 38 du règlement de la loi du Registre national des personnes ne permet pas à une personne de changer de nom sur son état civil, ce qui a des répercussions directes sur sa personnalité juridique et l’exercice de ses droits politiques. Par exemple, une personne trans ne pourra pas se présenter à un mandat électoral avec son nom assumé.

 

L’État du Honduras, en n’adoptant pas les réformes législatives nécessaires, contrevient donc à plusieurs normes protégées par la Convention américaine des droits de l’Homme, ratifiées par l’État Hondurien, et notamment les droits au nom, à la vie privée et à la protection égale de la loi, lus à la lumière du principe d’égalité et de non-discrimination.

 

Dans un avis consultatif historique de 20171, la Cour interaméricaine des droits de l’homme affirme que les États doivent mettre en place des procédures qui permettent aux personnes changeant d’identité de genre de modifier leur état civil dans les registres nationaux, ou encore qui permettent aux personnes de même sexe de se marier. Comme tout avis consultatif, il devra être pris en compte par l’État du Honduras afin que celui-ci veille à la conformité de son régime juridique interne avec cette interprétation des droits de la Convention.

 

 

«Ouvre tes ailes à l’égalité » (2019) (© Cattrachas)

 

Les femmes trans au Honduras sont victimes de plusieurs types de violence, encouragée par ce climat d’impunité et d’intolérance. De plus, l’ensemble des obstacles juridiques et matériels mènent à un contexte d’invisibilisation et d’exclusion de la société.

 

Les actrices et acteurs du changement et de l’égalité

 

Face à ce contexte hostile, les activistes et organisations œuvrant pour les droits de la communauté LGBTTTI continuent leur combat pour l’égalité et la défense des droits humains.

 

L’une de ces organisations est le réseau Cattrachas, créé en 2000. Ce réseau développe une stratégie qui vise à communiquer efficacement le message de la société civile concernant les violations des droits qui affectent les personnes LGBTTTI au Honduras. En tant qu’organisation lesbienne et féministe, elle se concentre sur la défense des droits humains des femmes et des personnes de la communauté. Cela s’illustre par un travail continu sur l’accès à la justice et à la lutte contre l’impunité, accompagné d’un plaidoyer basé sur la preuve recueillie par leur observatoire. L’observatoire de Cattrachas est un centre de surveillance des médias de communication qui effectue une veille permanente des médias nationaux principaux, ce qui lui permet de suivre les morts violentes des personnes LGBTTTI, mais aussi d’avoir une analyse globale du contexte national.

 

 

Evénement « Féministes en Résistance » (2019) (© Cattrachas)

 

De plus, face aux dernières attaques du mois de juillet, plusieurs organisations internationales ont dénoncé la situation et réaffirmé leur préoccupation et soutien, comme ce fut le cas de la CIDH ou encore de l’OACNUDH-Honduras dans leurs communiqués.

 

Une justice en fuite

 

Les histoires d’injustice sont nombreuses, alors que plus de 96 % des violations contre les personnes de la diversité sexuelle qui demeurent impunies. Reflet d’une augmentation de la violence contre les personnes de la communauté LGBTTTI pendant une période d’affaiblissement de l’État de droit, dans  les 6 mois qui ont suivi le coup d’État de 2009, l’observatoire de Cattrachas a comptabilisé au moins 30 meurtres haineux contre des membres de la communauté LGBTTTI, dont 15 contre des femmes trans. La majorité des assassinats se sont déroulés pendant les heures du couvre-feu, imposé illégalement et caractérisé par la suspension des garanties constitutionnelles. Aujourd’hui, il n’existe aucune sentence condamnatoire dans ces cas, témoignage d’une impunité généralisée au Honduras.

 

L’un des cas emblématiques de cette période est le meurtre de Vicky Hernandez, le 28 juin 2009, dans la 2e plus grande ville du pays, San Pedro Sula, sous le régime du couvre-feu qui interdisait la présence de toute personne n’appartenant pas aux forces de sécurité publique dans les rues. Plus de 10 ans après les faits, l’enquête est encore au stade préliminaire, ce qui n’est pas une exception pour les meurtres commis pendant la période du coup d’État.

 

La lutte pour l’égalité et l’accès à la justice est un chemin de longue haleine. Dix ans après les faits, le cas de Vicky Hernandez connaît enfin un avancement au niveau régional. Le dossier a été transmis par la CIDH à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme pour violation de plusieurs articles de la Convention comme le droit à la vie, à l’égalité ou encore à la liberté d’expression. Avec ce cas, l’organisation Cattrachas, qui est demanderesse, espère faire progresser les droits, reculer les discriminations et, dans une plus ample mesure, faire reculer les violences qui affectent quotidiennement les personnes LGBTTTI au Honduras.

 

Sur cette note d’espoir, je vous donne donc rendez-vous dans quelques mois, pour suivre les développements dans ce dossier emblématique.

 

Sur l’auteure 

 

Floriane Basile est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada au sein du réseau lesbien féministe Cattrachas dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Le projet est réalisé avec l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Références

 

1 – Cour IDH, Opinion consultative No OC-24. (2017)