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23 février 2016

Maroussia Lévesque

Conseillère juridique volontaire

 

Dans le cadre de ce projet avec Avocats sans frontières Canada (ASFC), le Bureau des droits humains en Haïti a entrepris une procédure en habeas corpus concernant quatre femmes en détention préventive prolongée à la prison civile de Pétion-Ville. Cette procédure permet d’amener un accusé devant un juge pour qu’il statue sur la légalité de la détention. La détention préventive désigne quant à elle la détention d’une personne avant son verdict. Bien qu’Haïti ait ratifié plusieurs conventions internationales qui limitent et encadrent la détention préventive et que la Constitution haïtienne garantisse une comparution dans les 48 heures de l’arrestation, la prolongation indéfinie de la détention est particulièrement fréquente. Selon la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), près de 80 % de la population carcérale en Haïti se trouve en détention préventive, souvent sans n’avoir jamais comparu devant un juge.

 

Le présent recours concerne des prévenues qui attendent leur procès derrière les barreaux pour une période variant entre quatre et huit ans, sans avoir reçu aucun acte de procédure. Les avocats ont donc entrepris une procédure en habeas corpus, consacrée par la Constitution et permettant de demander la libération des détenus victimes d’arrestation ou de détention arbitraire.

 

En théorie, un juge saisi d’une requête en habeas corpus détermine immédiatement la légalité de la détention . Pourtant, plus de 95 jours se sont écoulés depuis l’audience sans que le juge ait tranché. Plusieurs obstacles nuisent à l’exercice efficace d’un recours en habeas corpus, et plus généralement au au respect de la présomption d’innocence. Les procédures concernant ces quatre femmes font ressortir certaines de ces difficultés.

 

Tout d’abord, le personnel administratif du tribunal éprouve des difficultés à fournir l’historique judiciaire des prévenues. Il appert que plusieurs dossiers sont perdus, introuvables, ou assignés à des juges désormais hors fonction. Le greffe refuse néanmoins de reconnaître cet état de fait. Dans ces circonstances, impossible pour les avocats de la défense d’obtenir les preuves utiles au soutien de leur argumentation.

 

Ensuite, malgré la garantie constitutionnelle à une décision immédiate, le doyen a ajourné l’audience tenue le 20 novembre 2015. Ce report était prévu au prochain jour ouvrable, mais le tribunal n’a toujours pas rendu décision en date de publication. Ce délai s’explique mal vu la limpidité de la disposition stipulant l’urgence d’un recours en habeas corpus. Recours qui, est-il utile de le rappeler, est consacré depuis la Magna Carta qui fête son 800eme anniversaire cette année.

 

Par ailleurs, les procédures fournissent un exemple de l’impact réel des initiatives d’Avocats sans frontières Canada pour renforcer les acteurs qui œuvrent sur le terrain à la promotion des droits humains. Lors de l’audience, les avocats de la défense ont en effet recouru au Guide des bonnes pratiques sur les mineurs en conflit avec la loi. Faisant suite à un atelier en collaboration avec l’Office de la Protection du Citoyen (OPC), ce guide collige le cadre juridique applicable en matière de détention préventive. Il s’est avéré un outil de travail crucial tant pour les parties que le juge. Les avocats de la défense s’en sont servi pour garder le débat axé sur le droit applicable et contrer les généralités offertes par le représentant du ministère public.

 

 

Les avocats de la défense (Me Dyliet Jean-Baptiste, Josue Augusma et Jacques Letang) présentant au ministère public les dispositions régissant la détention préventive dans le Guide des bonnes pratiques sur les mineurs en conflit avec la loi.

 

En somme, ce recours met en exergue l’impact concret de l’appui d’Avocats sans frontières Canada aux praticiens sur le terrain, confrontés à un système judiciaire d’une rare complexité. Ces derniers continueront à défendre les intérêts de leurs clientes laissées pour compte en détention préventive, et Avocats sans frontières Canada à les soutenir.

 

Sur l’auteure 

 

Maroussia Lévesque est conseillère juridique volontaire déployée en Haïti depuis novembre 2015 dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.