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27 mars 2019

William Fortin

Conseiller juridique volontaire

 

Le système africain des droits humains n’est pas un sujet que le public canadien maîtrise particulièrement bien. D’entrée de jeu, la relation entre les droits humains et le continent africain dans l’opinion publique canadienne est trop souvent influencée par un manque de connaissances des réalités locales et par des stéréotypes persistants qui dépeignent les Africains comme de perpétuelles victimes. Pour certains de nos concitoyens, l’existence d’institutions visant à promouvoir et protéger les droits humains de manière active en Afrique n’est qu’une idée vague et abstraite. Toutefois, de telles institutions existent bel et bien et forment un système continental de promotion et de protection des droits humains qui mérite d’être mis en lumière. Qui plus est, d’un point de vue juridique, ce système possède plusieurs singularités qui le démarquent et en font un sujet d’étude unique en son genre. Il est principalement composé de deux institutions : la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples et la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples. Ces deux entités possèdent des missions distinctes, tout en étant complémentaires.

 

La Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples

 

Malgré le fait que la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples est probablement la plus connue des deux, la Commission tient un rôle tout aussi primordial au sein de ce système. Créée par la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, la Commission a pour principales missions d’interpréter cette même Charte, de protéger les droits de l’Homme et des Peuples en Afrique et d’en faire la promotion. Les sessions de la Commission permettent aux États parties, aux institutions nationales africaines des droits de l’Homme (INDH) et aux organisations de la société civile de discuter de la situation des droits humains sur le continent africain.

 

Les États parties à la Charte, les organisations de la société civile et les individus peuvent aussi communiquer auprès de la Commission toute violation d’une disposition de la Charte africaine commise par un État partie (sous réserve des procédures applicables). La Commission étant une entité quasi-juridique, les réponses qu’elle donne à ces communications prennent la forme de recommandations qui ne sont pas juridiquement contraignantes pour les États. Leur impact n’est pas pour autant négligeable et ces dernières peuvent avoir une incidence intéressante sur la façon dont les États approchent la question des droits humains.

 

La Commission tient habituellement deux sessions ordinaires par année, ainsi que des sessions extraordinaires lorsque cela est jugé nécessaire. Lors de ses sessions ordinaires, la Commission examine et adopte une panoplie de documents, dont les rapports périodiques de certains États. De plus, elle profite de l’effervescence entourant ses sessions pour organiser des panels et faire le lancement ou l’exposé de certains des documents (lignes directrices, principes, rapports, etc.) qu’elle produit.

 

Le Forum des ONG

 

En amont des sessions ordinaires de la Commission, les ONG qui ont un statut d’observateur à la Commission sont traditionnellement invitées à un Forum leur étant réservé. L’événement est organisé par l’African Centre for Democracy and Human Rights Studies et permet aux membres de la société civile de discuter des différents enjeux liés aux droits humains et de se concerter afin de faire front commun lors des travaux de la Commission.1

 

Une déclaration sur le droit à la nationalité devant des membres de la Commission

 

C’est ainsi que, dans le cadre de mon mandat, j’ai eu le privilège de participer du 20 au 27 octobre 2018 à la 63e Session ordinaire de la Commission et au Forum des ONG. Je me suis rendu sur place accompagné du directeur exécutif du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), monsieur Amon K. Dongo. Notre petite délégation (pour ne pas dire duo) représentait deux structures : le MIDH et la Coalition de la société civile ivoirienne contre l’apatridie (CICA). Nous avions pour mission de partager avec les autres participants la situation des droits humains en Côte d’Ivoire, de renforcer le réseau de contacts du MIDH et de la CICA et de promouvoir les droits des personnes à risque d’apatridie.

 

 

Effectivement, l’apatridie représentait l’un des enjeux sur lesquels nous avons tout particulièrement mis l’accent lors de nos interventions. Pour ceux qui ne connaissent pas ce concept, la Convention relative au statut des apatrides définit l’apatride comme « une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ». L’apatride est donc un individu qu’aucun État ne considère comme l’un de ses citoyens, se voyant ainsi privé de nombreux droits et libertés qui lui sont pourtant inhérents. À Abidjan, la lutte contre l’apatridie se trouve directement au cœur de mon mandat. Cet enjeu, quoique méconnu du public et parfois négligé par les autorités, a un impact conséquent sur la vie de nombreuses personnes en Côte d’Ivoire. Malgré les récents efforts déployés par l’État ivoirien, la lutte contre l’apatridie reste un défi considérable. Les chiffres les plus récents auxquels nous avons accès font état d’environ 700 000 personnes apatrides ou à risque d’apatridie sur le territoire ivoirien. Il est toutefois difficile d’avoir une idée claire de l’ampleur du phénomène.

 

Dans une étude publiée en 2016 par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et portant sur l’apatridie et la nationalité en Côte d’Ivoire, il est souligné « [qu’]il est de l’intérêt de tous de reconnaître avec franchise que ce chiffre de 700 000 personnes qui sont apatrides ou de nationalité indéterminée est une estimation qui ne s’appuie sur aucune analyse statistique rigoureuse » (p. 65). Qu’on soit d’accord ou non avec ces estimations, force est de constater qu’il reste beaucoup à faire afin d’éradiquer ce problème et de protéger les populations y étant exposées.

 

Le MIDH a abordé la nécessité de rendre plus inclusive la législation ivoirienne sur le droit à la nationalité dans une déclaration que j’ai eu l’honneur de lire devant certains membres de la Commission. Dans cette déclaration, nous avons aussi abordé nos inquiétudes face à la récente Ordonnance d’amnistie prise par le Président de la République et à la manière dont l’État ivoirien a géré le dossier de la Commission électorale indépendante à la suite de la décision APDH c. Côte d’Ivoire de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples.

 

Nos interventions ne se sont toutefois pas limitées à ces sujets. Les enjeux abordés lors du Forum et de la 63e Session ordinaire étaient en effet nombreux et diversifiés, allant de l’indépendance de la Commission à la décriminalisation des délits mineurs, en passant par l’impact des industries extractives sur les droits humains. Il a également été question de corruption, de droit des femmes, de protection des défenseurs des droits humains et de la terre, etc. Il est cependant difficile de capturer dans un article aussi court l’ensemble des thèmes abordés.

 

Une expérience professionnelle et humaine

 

Ma participation à ces évènements a représenté une occasion d’apprentissage inouïe. J’ai accumulé un important bagage de connaissances sur le fonctionnement de la Commission et sur la situation des droits humains à travers le continent. J’ai aussi eu la chance de rencontrer des défenseurs des droits humains et des activistes qui se battent à tous les jours contre les injustices qui affectent leurs concitoyens. D’une certaine manière, je peux dire que cette expérience m’a permis de grandir autant au niveau professionnel qu’au niveau personnel.

 

Il est vrai que les défis liés aux droits humains en Afrique sont nombreux et persistants. Néanmoins, les individus qui s’activent à combattre les injustes et à promouvoir un développement humain sur le continent le sont tout autant.

 

Sur l’auteur 

 

William Fortin est conseiller juridique volontaire en Côte d’Ivoire au sein du projet Protection des droits des enfants, des femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF), mis en oeuvre par ASFC en consortium avec le Bureau international des droits des enfants (IBCR), avec le soutien financier d’Affaires mondiales Canada.

 

Références

 

1 – À la fin du Forum précédant la 63e Session ordinaire de la Commission, les ONG participantes ont adopté des résolutions pays et thématiques, ainsi qu’une liste de recommandations destinées aux membres de la Commission.