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8 juin 2018

Annabelle Gagnon-Bischoff

Conseillère juridique volontaire

 

Pendant mes huit mois à Bondoukou, et depuis mon retour au Canada, on me demande régulièrement « C’est comment travailler en Côte d’Ivoire? », « C’est comment la vie à Bondoukou? » ou tout simplement « Hein? Bondoukou? C’est où ça? » .

 

À ces questions, je suis toujours bien embêtée de répondre. Comment faire réaliser aux gens ce qu’a été pour moi la Côte d’Ivoire et Bondoukou? Ce qu’a été de travailler dans une clinique juridique pour l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire? Les mots (et même un billet de blogue!) ne suffisent pas pour expliquer ce qu’a représenté ces huit derniers mois pour moi.

 

Je tenterai malgré tout d’y apporter un début de réponse et de vous transmettre humblement un peu ce que Bondoukou représente à mes yeux. J’espère que je pourrai y rendre justice.

 

 Une impression…de jamais vu!

 

J’étais la première coopérante volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) en Côte d’Ivoire et la première déployée en région et non pas en capitale, comme c’est la pratique habituelle. Lorsqu’on m’a annoncé que je serais déployée à Bondoukou, je dois avouer avoir regardé sur une carte pour vérifier où cela se situait exactement.

 

Bondoukou se situe au nord-est de la Côte d’Ivoire et est à environ 14 kilomètres de la frontière avec le Ghana. Surnommée « la ville aux mille mosquées », on y compte en effet beaucoup de mosquées! Dans la région, les traditions, la religion et le mysticisme ont toujours eu une grande influence sur la manière de vivre des habitants. Ainsi, les coutumes et pratiques ancestrales sont souvent mieux connues que la loi ivoirienne.

 

 

Le petit marché de Bondoukou, la ville aux mille mosquées, seulement ouvert en soirée.

 

On m’a répété à plusieurs reprises que j’avais eu de la chance d’arriver à Bondoukou en 2017! Il y a quelques années à peine, la route reliant Abidjan et Bondoukou était dans un bien piètre état et il fallait compter huit heures de route pour faire le trajet, voire plus selon le moyen de transport. Heureusement pour moi, la route a été refaite depuis et le trajet a été réduit à cinq heures en voiture, une amélioration non négligeable!

 

Mais bon, outre ces généralités, Bondoukou c’est quoi pour moi?

 

C’est une petite ville débordante de vie où les chèvres, les moutons, les vaches, les chiens et les poules se promènent un peu partout en liberté.

 

Ce sont les taxis partagés comme seul mode de transport en commun où le tarif est fixé à 200 CFA et où tous se saluent d’un « Bonjour » ou un « Bonsoir » (à partir de midi et une minute) à leur entrée dans le véhicule.

 

C’est le bébé qui pleure d’incompréhension en me voyant parce qu’il n’a jamais vu de « Blanche ».

 

C’est aussi les coupures de courant intempestives, souvent très longues, qui compliquent le travail, le repos et le sommeil.

 

Ce sont les coupures d’eau qui suivent souvent ces pannes de courant, et qui, par conséquent, nous obligent à conserver des seaux d’eau bien remplis, au risque de ne plus avoir d’eau pour se laver.

 

 

Présentation données aux enfants portant sur l’égalité des sexes, janvier 2018.

 

C’est, lorsque la pluie arrive, s’assurer que les appareils électroniques (téléphone, ordinateur, etc.) sont bien chargés parce que les coupures de courant sont fréquentes.

 

C’est aussi l’excitation de manger un bon burger ou une bonne pizza lorsque tu es de passage à Abidjan pour le travail.

 

C’est le dépaysement enchanteur des journées rythmées par les appels à la prière des muezzins et les remarquables couchers de soleil.

 

C’est travailler dans un pays où, malgré les difficultés, les gens sont accueillants, conservent une joie de vivre et une énergie qui, comme Canadienne, pousse à une remise en question.

 

C’est l’opportunité de faire du travail de terrain dans le but d’améliorer l’accès pour la population aux droits humains, dans un contexte où ces droits ne sont pas toujours acquis.

 

 

En compagnie des collègues de la Clinique juridique de Bondoukou.

 

C’est travailler au sein d’une équipe accueillante qui a tout fait pour que je m’y sente partie intégrante.

 

Ce sont les discussions engagées avec les collègues en parlant des activités à mener ou d’un cas de violation des droits humains rapporté à la Clinique, mais aussi les fous rires, lors de la pause du midi ou la fête lors d’un événement important ou d’un anniversaire.

 

C’est l’ardeur au travail, le courage et la détermination des différents acteurs de protection des droits humains, malgré des conditions de travail pas toujours favorables.

 

C’est participer aux activités de la Clinique juridique, comme les visites de la prison, le suivi des audiences au tribunal, les consultations juridiques, les formations et les activités de sensibilisation auprès de la population.

 

 

Leçons portant sur l’égalité des sexes, janvier 2018.

 

C’est l’enthousiasme et le bonheur qui se lit dans les yeux des enfants lorsqu’on entre dans leur classe pour faire une activité.

 

C’est découvrir que ceux qui étaient au début des étrangers, au fil des mois deviennent ta famille.

 

C’est lier des amitiés inoubliables, partager avec des amis un poisson ou poulet braisé au maquis du coin [pour les Canadiens : un maquis est un droit où aller manger, bref un restaurant, souvent à l’extérieur, mais qui représente bien plus : c’est un lieu prisé de rencontre et d’échanges.

 

Ce sont tes collègues et amis, qui te font sentir aimée et entourée à ton anniversaire, à grand coup de célébrations et de surprises.

 

Ce sont les inconnus qui essaient d’attirer ton attention avec des « hey la Blanche! », mais aussi toutes les personnes rencontrées au marché, à l’épicerie, à la banque, aux boutiques ou au maquis qui te lancent en te voyant un chaleureux « On dit quoi? Ça fait deux jours! » [Peu importe le nombre de jours passés sans se voir, on te lance toujours l’expression « ça fait deux jours »].

 

 

 

Discussion au Collège moderne avec les enfants de la rue, janvier 2018.

 

C’est prendre l’habitude de négocier tes fruits, légumes et autres produits au marché.

 

C’est vivre la passion des pagnes, se faire toute une nouvelle garde-robe colorée pour le travail [ce que je recommande en fait, les vêtements de pagne sont beaucoup plus adaptés pour la chaleur que nos vêtements de bureau du Canada] et passer du temps chez la couturière à choisir des modèles et placoter pendant les retouches aux vêtements.

 

Ce sont les après-midis de fin de semaine à la piscine de l’hôtel Marhaba (la seule piscine entre la frontière du Burkina jusqu’à Abengourou m’a-t-on dit) à tenter de faire des longueurs parmi les nombreux baigneurs, ce qui fait énormément de bien pour relâcher le stress par le sport et essayer d’oublier un peu la chaleur ambiante.

 

C’est aussi passer du temps à apprendre à découvrir et à cuisiner de délicieux plats ivoiriens, sous les instructions habiles de ma colocataire…

 

Un souvenir impérissable

 

Au final, huit mois à Bondoukou, c’est une expérience inoubliable qui t’en apprend beaucoup sur ta personne, sur la Côte d’Ivoire, sur les défis que représente le respect des droits humains. C’est travailler et améliorer tes compétences, en vivant des moments magiques tout comme des moments plus difficiles. C’est ressortir de ce séjour en une personne différente. C’est avoir un nouveau chez-soi.

 

À tous ceux qui ont fait partie de proche ou de loin de mon expérience de conseillère juridique volontaire en Côte d’Ivoire, je vous dis merci pour tout ce que vous m’avez apporté. Je n’oublierai jamais ces huit derniers mois. J’espère avoir eu, ne serait-ce que 1% sur vous, de l’impact que vous avez eu sur moi. J’espère vous avoir apporté, ne serait-ce que 1% de ce que vous m’avez appris.

 

À tous les Canadiens qui seraient intéressés à jumeler leurs connaissances juridiques avec une expérience de coopération internationale, qu’attendez-vous?

 

Sur l’auteure 

 

Annabelle Gagnon-Bischoff est conseillère juridique volontaire en Côte d’Ivoire dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, des femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF). Ce projet, mené en consortium avec le Bureau international des droits des enfants (IBCR), est soutenu par le gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.