• Blogues

25 avril 2018

Ixil Mayan women listen in the courtroom during the twenty-fifth day of the historic genocide trial against former de facto dictator Efrain Rios Montt and his head of Intelligence Jose Mauricio Rodriguez Sanchez. Both are accused of genocide and crimes against humanity committed against the Ixil Mayan people during their de facto reign from March 1982 to August 1983. Guatemala City, Guatemala. May 08, 2013.

Léa Lemay Langlois

Conseillère juridique volontaire

 

En mars dernier, Avocats sans frontières Canada (ASFC) a organisé dans la ville de Guatemala, en collaboration avec son partenaire Mujeres Transformando el Mundo (MTM), un colloque sur les réparations transformatrices dans les cas de violence sexuelle et autres formes de violence fondée sur le genre. Plus d’une centaine de personnes ont participé à l’évènement, dont plusieurs avocat-e-s, juges, psychologues et représentant-e-s de la société civile.

 

 

De gauche à droite: Esteban Celada Flores, Léa Lemay Langlois, Paula Barrios, Adriana Benjumea Rúa, July Angeli Loaiza Zapata, Dominic Voisard

 

J’ai eu le privilège d’y participer en tant que paneliste aux côtés de Adriana Benjumea Rúa et July Angeli Loaiza Zapata, respectivement directrice et psychologue de l’organisation Corporación Humanas Colombia, ainsi que Paula Barrios, directrice de MTM. Elles ont partagé leurs expériences et leur expertise dans la mise en œuvre du concept de réparations transformatrices dans les contextes colombien et guatémaltèque.

 

Pour ma part, mon intervention consistait à présenter les standards internationaux en lien avec les réparations transformatrices, ce qui a permis d’introduire le cadre normatif dans lequel se sont insérées les présentations qui ont suivi.

 

Qu’est-ce que les réparations transformatrices?

 

La justice transformatrice s’appuie sur le postulat que les contextes de discrimination et d’oppressions structurelles produisent ou permettent les violences fondées sur le genre, tel que les violences sexuelles. Ce postulat a été reconnu par plusieurs organes internationaux de droits humains, dont l’Assemblée générale des Nations Unies, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, et la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences.

 

Partant de ce fait, les réparations pour ces types de violations aux droits humains ne doivent pas viser à replacer les victimes dans la situation qui prévalait avant la violation, comme le commandent les réparations restauratrices. Elles doivent plutôt viser à transformer cette situation d’origine, afin d’éviter de retourner les victimes à une situation qui viole leurs droits.

 

Les réparations transformatrices trouvent également leur origine juridique dans l’obligation fondamentale qu’ont les États parties aux principaux instruments de droits humains de respecter et de garantir les droits reconnus dans ces instruments.

 

 

© Aldo Fabrizzio Fernandez Comparini

 

L’obligation de garantir les droits humains inclue celle qu’ont les États de prévenir, enquêter, sanctionner et réparer les violations aux droits humains commises sous leur juridiction. Les réparations doivent être intégrales, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas se limiter à la compensation monétaire. Elles peuvent prévoir des mesures d’indemnisation, de réhabilitation, de satisfaction, et de garanties de non-répétition.

 

Comment s’est développée la notion de réparations transformatrices?

 

La Déclaration de Nairobi sur le droit des femmes et des filles à un recours et à réparation prévoit que : « La réparation doit aller au-delà des causes et des conséquences immédiates des crimes et des violations; elle doit viser à redresser les inégalités politiques et structurelles qui façonnent négativement la vie des femmes et des filles. » La Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, Rashida Manjoo, a repris cette idée dans son rapport portant sur les réparations accordées aux femmes ayant subi des actes de violence.

 

La notion des réparations transformatrices a continué à être développée par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, par le Secrétaire Général des Nations Unies, et par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies. La Cour interaméricaine des droits de l’Homme a également utilisé ce concept dans le dossier González et al. v. Mexique concernant les disparitions et assassinats de femmes dans le nord du Mexique.

Ces développements ont surtout permis de préciser la notion de réparations transformatrices et de la généraliser au sein de divers organes internationaux. Les standards internationaux ont également été repris sur le plan interne.

 

Quels sont les exemples de réparations transformatrices sur le plan national?

 

Au cours de l’événement, Paula Barrios a présenté le projet de loi visant à offrir une attention intégrale aux filles et aux adolescentes victimes de violence sexuelle, développé par MTM. Ce projet de loi vise à donner aux victimes de violences sexuelles les outils nécessaires pour qu’elles puissent transformer le contexte de violations multiples à leurs droits humains, particulièrement à la santé sexuelle et reproductive et ayant provoqué ou facilité les actes dont elles ont été victimes.

Plus précisément, le projet de loi prévoit notamment l’accès à des services de santé, tant physique que psychologique, incluant l’interruption des grossesses provoquées par la violence sexuelle, l’accès à des recours judiciaires, ainsi que des mesures de sécurité immédiates.

 

Sur le plan judiciaire, quelques décisions rendues par les tribunaux guatémaltèques ont repris le concept de réparations transformatrices, dont la décision rendue dans le célèbre dossier Sepur Zarco. Les mesures de réparation ordonnées par la juge dans ce dossier incluent la construction de monuments en l’honneur des victimes, diverses mesures visant à faciliter l’accès à l’éducation et à des services de santé, et des mesures de sécurité.

 

 

Femme émue au cours du procès Sepur Zarco, Guatemala 2013. © James Rodriguez / MiMundo.org

 

Le principal défi auquel font face les mesures de réparations ordonnées par voie judiciaire demeure toutefois  leur mise en œuvre. D’un côté, lorsque les ordonnances de réparation visent les responsables déclarés coupables, il est fréquent que ceux-ci ne disposent pas des ressources financières suffisantes pour les respecter. De l’autre, lorsque l’État est nommé comme tierce partie responsable de mettre en œuvre les réparations, la volonté politique et les limites budgétaires ont souvent pour effet d’empêcher une mise en œuvre effective.

 

L’avenir des réparations transformatrices

 

La notion de réparations transformatrices a un potentiel prometteur dans une logique féministe visant à transformer les structures de discrimination de genre et d’oppression contre les femmes et les minorités sexuelles. Le succès du colloque organisé par ASFC et MTM témoigne de la pertinence et de l’actualité de ce concept.

 

Plusieurs dossiers de violations aux droits humains au Guatemala et ailleurs, tant en ce qui concerne les violations actuelles ou celles commises dans le contexte du conflit armé, permettront sans doute de continuer à tester et faire avancer le concept des réparations transformatrices.

 

Le dossier Hogar Seguro, qui concerne la responsabilité de fonctionnaires de l’État pour la mort et les blessures de 56 adolescentes, à la suite d’un incendie alors qu’elles se trouvaient sous la responsabilité du système public de protection de la jeunesse, est  en ce sens un exemple emblématique que nous devrons continuer à suivre avec attention.