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6 novembre 2018

Par Liza Yelle

Conseillère juridique volontaire

 

Le mercredi 31 octobre, l’audience a débuté par la ratification d’un rapport d’analyse de vidéo. La vidéo en question provient d’une caméra de surveillance d’une résidence du quartier El Livano, dans la ville de La Esperanza, soit le même quartier où vivait Berta Cáceres et où elle a été assassinée. La vidéo ne permet pas de voir la maison de la victime, mais on peut voir la rue principale qui mène au quartier. L’experte du ministère public a analysé la séquence entre 21h le 2 mars 2016 et 4h le 3 mars 2016. À la demande du tribunal, l’experte a projeté les moments importants de la vidéo dans la salle, c’est-à-dire lorsque des véhicules passaient dans la rue. La vidéo n’est pas particulièrement concluante, car on ne peut distinguer les couleurs ou les marques des véhicules. Toutefois, vers 23h38, on peut percevoir, grâce à la lumière d’une voiture hors plan, trois personnes qui courent dans la rue. Puis on voit par le mouvement des lumières que l’automobile fait demi-tour et se dirige vers le centre de la ville. Vers 2h du matin, on peut voir que plusieurs véhicules commencent à entrer dans le quartier, notamment des patrouilles de la police.

 

Durant l’après-midi, quatre témoins qui faisaient partie de la preuve des équipes d’accusation privée sont venus témoigner. Puisque les équipes d’accusation privées ont été exclues du processus, le ministère public a la responsabilité de présenter les différents éléments de leur preuve qui ont été admis au procès. Cependant, durant les témoignages, on a pu observer que le ministère public ne semble pas avoir travaillé avec les accusations privées ou les victimes à la préparation des interrogatoires. Le procureur qui menait les interrogatoires en chef ne semblait pas connaître l’objectif de ceux-ci. La représentation des intérêts des victimes semblait totalement ignorée par le ministère public. En effet, les procureurs du ministère n’ont à ce jour toujours pas pris contact avec l’accusation privée afin de s’assurer de bien utiliser les moyens de preuve prévus.

 

Les deux premiers témoins vivaient dans la zone du projet Agua Zarca. L’un d’eux, selon le rapport GAIPE1, aurait fait l’objet de dénonciations par le COPINH pour des tâches qu’il aurait effectuées pour l’entreprise DESA, dont plusieurs actes criminels : des assassinats et l’incendie d’une maison appartenant à des résidents qui s’opposaient au projet Agua Zarca2. Selon les écrits présentés pour les audiences de proposition de preuve, les avocats des victimes espéraient prouver par ces témoignages l’existence d’activités de la part d’employés et gestionnaires de l’entreprise DESA qui visaient à surveiller et attaquer des membres du COPINH et Berta Cáceres, des faits qui font partie du contexte entourant l’assassinat.

 

Le manque de lignes directrices des interrogatoires en chef du ministère public a donc permis aux deux témoins de partager leur vision des faits sur l’organisation COPINH, dont plusieurs aspects étaient de la diffamation. Ils ont déclaré que tout le monde dans leur communauté était en faveur du projet hydroélectrique et quye l’opposition ne se faisait sentir que lorsque le COPINH venait. Ils ont affirmé que Sergio Rodriguez Orellana3 était cordial avec tous et toujours bien reçu par la communauté lorsqu’il venait négocier avec eux. De plus, ils ont déclaré que le COPINH venait dans leur communauté pour s’emparer de leurs terres, qu’ils étaient violents, volaient, détruisaient et mettaient le feu à des installations.

 

Un autre témoin de l’accusation privée était un membre du COPINH, aussi informateur d’un des accusés, Sergio Rodriguez Orellana. Le témoin a déclaré que l’accusé lui avait demandé de l’informer lorsque Berta et le COPINH venaient dans la zone du projet et lorsqu’ils avaient des réunions, car il avait peur pour sa sécurité. Le témoin aurait accepté de l’informer, puisque Sergio lui aurait promis un poste de garde de sécurité lorsque le projet serait en place, emploi qu’il n’a pas obtenu, selon lui, parce que le COPINH ne les a pas laissé travailler.

 

Le quatrième témoin de l’accusation privée était un ancien agent de police qui travaillait dans la zone du projet et qui était souvent assigné lorsqu’il y avait des manifestations contre le projet Agua Zarca. Le ministère public n’a pas réussi à lui faire dire beaucoup de choses sur la réalité des manifestations du COPINH, mais le témoin n’a parlé d’aucune violence.

Après les quatre témoins proposés par l’accusation privée, quatre personnes sont venues ratifier des documents en relation à des perquisitions dans les domiciles des accusés et une dans les bureaux de l’entreprise DESA.

 

Audience du 1er novembre

 

Le 1er novembre, l’audience a d’abord débuté par la ratification de documents en lien avec des perquisitions chez les accusés. Par la suite, afin d’accommoder un témoin de la défense, le tribunal a permis que l’oncle de l’accusé Douglas Geovanny Bustillo4 vienne témoigner à cette étape. Lors d’une perquisition chez un autre neveu de ce témoin où il habitait, une importante somme d’argent a été saisie. Le ministère public allègue que cet argent appartient à Douglas Geovanny Bustillo, mais le témoin est venu déclarer qu’une grande partie de l’argent saisi provient de l’église pour laquelle il est le trésorier. Il a aussi fait part de toutes les démarches qu’il a entreprises afin de récupérer l’argent, mais ces dernières se sont révélées sans succès.

 

Par la suite, un des enquêteurs principaux du dossier, Jésus Perdomo Chavez, est venu ratifier un rapport d’enquête de 2016, qui a entre autres permis l’émission de mandats d’arrêt. Grâce aux questions du ministère public et des avocats de la défense, il a été possible d’en connaître davantage sur les relations entre les accusés et les techniques d’enquête utilisées. Il a expliqué comment l’experte Brenda Barahona, qui va venir témoigner plus tard dans le procès, a réussi à identifier cinq numéros de téléphone sur la scène du crime. Deux numéros étaient au nom de l’accusé de Henry Javier Hernandez, un numéro était au nom de l’accusé Edilson Duarte Meza et à la suite d’une enquête, ils ont pu déterminer que les deux autres numéros étaient utilisés par Elvin Rápalo Orellana et Oscar Torres Velásquez. Les enquêteurs ont réussi à identifier les véritables utilisateurs de ces numéros grâce au positionnement des antennes téléphoniques, de la surveillance, des entrevues avec des témoins, des réseaux sociaux, et d’autres méthodes. L’experte Brenda Barahona a aussi pu identifier des patrons atypiques d’appels téléphoniques entre Sergio Rodriguez Orellana et Douglas Geovanny Bustillo, ce qui a renforcé les soupçons contre ces accusés lors de l’enquête. De plus, les enquêteurs ont sollicité l’intervention et l’écoute de toutes ces lignes téléphoniques, ce qui a permis d’en apprendre davantage sur les accusés.

 

L’enquêteur a aussi mentionné qu’il avait reçu de l’information d’un coopérant espagnol du COPINH à l’effet que Berta Cáceres avait été menacée le 20 février 2016 par Sergio Rodriguez Orellana, un fait qui lui a été confirmé par plusieurs membres du COPINH par la suite.

 

Le ministère public a encore plusieurs éléments de preuve à présenter, ce qui laisse croire que le procès se prolongera au-delà de cette semaine.

 

Sur l’auteure 

 

Liza Yelle est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Liza participe actuellement à l’observation du procès de Berta Cáceres en coalition avec différentes organisations nationales et internationales de droits humains. Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada, accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Références 

 

1 – Le rapport du Grupo Asesor Intercional de Personas Expertas (GAIPE) est un rapport d’experts internationaux publié en novembre 2017 qui analyse de manière indépendante l’enquête, le processus et le dossier de l’assassinat de Berta Cáceres. Voir : https://www.gaipe.net/

2 – GAIPE, Represa de Violencia El Plan que Asesina a Bertha Caceres, novembre 2017, p.19.

3 – Gérant social, environnemental et des communications de l’entreprise DESA.

4 – Ancien militaire des Forces armées du Honduras et chef de sécurité pour l’entreprise DESA jusqu’à juin 2015.