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3 mars 2022

À la suite des déclarations de la ministre d’Affaires mondiales Canada, l’honorable Mélanie Joly, invitant la Cour pénale internationale (CPI) à enquêter sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui seraient en train d’être commis en Ukraine, le Canada en compagnie de 38 autres États parties à la Cour ont formellement saisi le 2 mars 2022 le Procureur de la CPI relativement à la situation en Ukraine. Deux jours avant, ce dernier avait annoncé qu’il avait pris la décision d’ouvrir une enquête, dans les plus brefs délais. L’intervention de la juridiction internationale pénale, soutenue par le Canada, soulève plusieurs enjeux.

 

La CPI en Ukraine, pourquoi ? Réactivation d’une situation tombée dans les oubliettes

 

123 États dans le monde ont ratifié le traité fondateur de la CPI (Statut de Rome) donnant ainsi compétence à cette dernière pour connaître notamment des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre pouvant être commis sur leur territoire ou encore par leurs ressortissants. Néanmoins, ce n’est le cas ni de l’Ukraine, ni de la Russie. Une première option qui aurait pu permettre la compétence de la Cour en Ukraine aurait été le renvoi de la situation par le Conseil de sécurité des Nations unies, scénario irréaliste au regard de la détention du droit de veto par la Russie. Ainsi, la compétence de base de la CPI est rendue possible sur le territoire ukrainien au regard des démarches entreprises par l’Ukraine une première fois en 2014 afin de donner compétence à la Cour pour les événements s’étant déroulés entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014 (dits « événements de Maïdan »), et une seconde fois en 2015, pour tous les événements se produisant sur le territoire depuis le 20 février 2014 (notamment les événements en Crimée et dans l’est de l’Ukraine). En ce sens, la Cour est également compétente pour connaître les crimes commis depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Cependant, jusqu’ici, la situation ukrainienne était restée au stade de l’examen préliminaire; le budget pour ouvrir une enquête étant clairement identifié par le Bureau du Procureur comme une raison ne permettant pas l’ouverture d’une enquête depuis 2020. Les derniers événements en Ukraine semblent avoir changé la donne.

 

En ce qui concerne les crimes visés, il importe de relever, relativement aux événements antérieurs à la crise actuelle, que le Procureur a déclaré qu’il est « convaincu qu’il existe une base raisonnable de croire que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité allégués ont bel et bien été commis ». S’agissant de la crise actuelle, il a également ajouté qu’il inclurait dans son enquête les nouvelles allégations de crimes relevant de la compétence de la CPI. À ce sujet, des rapports d’ONG indiquent, notamment, des bombardements sur des hôpitaux, des écoles, des habitations, ou plus généralement sur des biens civils, depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Notons par ailleurs que la compétence de la CPI s’exerce sur l’ensemble des crimes commis sur le territoire ukrainien par toutes les parties.

 

La CPI en Ukraine, comment ? D’une stratégie individuelle interne à une stratégie collective

 

Les derniers jours ont été riches en rebondissements concernant l’ouverture d’une enquête par le Procureur de la CPI. Ainsi, si ce dernier avait déjà annoncé demander à la Chambre préliminaire de la Cour l’autorisation d’ouvrir une enquête (procédure classique lorsqu’un État non partie reconnaît la compétence de la CPI sur ton territoire et que le Procureur souhaite ouvrir une enquête), sa déclaration a été rapidement suivie par une mobilisation de grande ampleur de la part de 39 États parties, qui ont choisi de renvoyer eux-mêmes la situation au Procureur. Simple détail procédural ? Non ! Ce changement a deux conséquences : d’une part, le Procureur n’a plus besoin de demander à la Chambre préliminaire d’autoriser l’ouverture d’une enquête, celle-ci est ouverte automatiquement si ce dernier en décide ainsi au terme d’un examen préliminaire (ce qu’il a d’ailleurs fait); d’autre part, cette forte mobilisation démontre une volonté d’appui de ces États, dont le Canada, à l’action de la Cour. Cette seconde considération est fondamentale. En effet, le soutien de ces États, en plus de participer à la légitimation des actions de la Cour, sera indispensable dans la facilitation des démarches des équipes d’enquête et le recueil de la preuve, étant entendu que la CPI en tant que juridiction internationale pénale ne dispose pas de service de police. La documentation et la préservation des preuves de l’ensemble des crimes commis constituent ainsi un enjeu majeur pour toutes les avenues de justice possibles existantes pour l’Ukraine, incluant la CPI.

 

La CPI, l’Ukraine et le Canada : Quel rôle pour le Canada dans la recherche de la justice?

 

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, le Canada a, avec véhémence, dénoncé ce comportement contraire au droit international. Il a entériné les sanctions prises par les autres États démocratiques pour contraindre la Russie à mettre fin à son action en Ukraine. En faisant partie des 39 États ayant renvoyé la situation, le Canada réaffirme ainsi son engagement auprès de la CPI, qui se traduit aussi par un soutien budgétaire annuel à la Cour et par la coopération avec les différents organes de la Cour. Cet engagement du Canada, membre de l’OTAN, peut constituer un atout pour la CPI dans la recherche de preuves suffisantes pour les crimes commis en Ukraine et pour l’identification des personnes responsables desdits crimes.

 

Il serait cependant important que ce soutien du Canada à la CPI dans la lutte contre l’impunité des crimes graves soit accompagné d’un redoublement, au niveau national, des efforts de poursuites judiciaires en vertu de la compétence universelle contre les présumés auteurs de ces crimes se trouvant au Canada. La Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre offre au Canada les moyens d’empêcher qu’il soit un refuge sûr pour les présumés criminels internationaux, en rendant les tribunaux canadiens compétents pour connaître de ces crimes graves commis à l’étranger. À ce titre, en juin 2021, Avocats sans frontières Canada et le Partenariat canadien pour la justice internationale ont interpellé, sans succès à date, le Canada sur la nécessité de poursuivre devant ses tribunaux M. Jorge Vinicio Sosa Orantes pour le massacre de plus de 200 personnes, incluant des enfants, dans le village guatémaltèque de Las Dos Erres en 1982, par une unité spéciale de l’armée dont il était membre. C’est en cela que l’action canadienne serait plus pérenne et contribuerait aux efforts internationaux de lutte contre l’impunité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale.